Vous connaissez la Nowstalgia, la stratégie créative qui consiste à jongler entre modernité (now) et nostalgie (stalgia). Mais connaissez-vous la happystalgia ? Ce revival des années 2000 a envahi la culture digitale et le vestiaire de la Génération Z. Retour en grâce du collier ras-de-cou, des pinces papillons et des jeans taille basse fendus façon Star’Ac (qui elle-même revient aussi bientôt...). Quels insights se cachent derrière cette résurgence du cool des années 2000 ? Et comment la nouvelle génération réinterprète-t-elle ces codes qu’elle est trop jeune pour avoir connus ? Nous avons mené l’enquête…
1ère raison : la recherche d’un « feel good mood »
La jeunesse a toujours nourri une fascination pour le passé : cultiver l’air du « c’était mieux avant », regretter une époque révolue que l'on n’a pas connue ou à peine (sûrement parce qu’on ne l’a justement pas connue d’ailleurs). Entre échappatoire et contestation, idéaliser le mondé passé donne à voir le présent en négatif. Un penchant pour la nostalgie exploité de tous temps par les marques sous le terme de rétro-marketing.
En se réappropriant les genres vestimentaires, technologiques et musicaux "Y2K", le mouvement Nowstalgia s’intéresse à l’engouement pour les avancées technologiques et le numérique en vogue à l’aube du nouveau millénaire : téléphones à clapet, look tecktonik, esthétique « premiers forums de discussion en ligne » et cyber raver font partie de la panoplie. Un imaginaire infusé de "Kaybug" en référence au bug de l’an 2000 qui menaçait les systèmes informatiques d’alors.
« Les années 2000, c'est un mix de l'extravagance des années 1980 et des délires futuristes liés à tout l'imaginaire du nouveau millénaire. Les make-up sont chargés, les coiffures explosives, les vêtements colorés. On est après les années sida et le nouveau millénaire agit comme une promesse de renouveau avec un optimisme qui se retrouve aussi à la télé avec des séries super colorées » Zoé Térouinard, Directrice de la rédaction chez Muuuz.
Replonger dans la pop culture de l’époque c’est renouer avec un principe de réalité édulcoré et jovial, éloigné des affres de l’actualité internationale : Newport Beach, Lizzie McGuire, La Guerre des Stevens, Phénomène Raven, Les Frères Scott ou encore Gilmore Girls et Veronica Mars. Des capsules d’utopie douillettes à l'humour acidulé où tout le monde est beau et où les problèmes quotidiens se résolvent instantanément. Sur Instagram, les looks de tabloïds rose bonbon inspirés de ces séries cultes n'arrêtent pas de conquérir de nouveaux adeptes : popcultureangel, Every Outfit On Lizzie McGuire, Thank You Atoosa. Pas de quête de réalisme, seule la “télé-réalité” compte : Loft Stories, Secret Story, The Simple Life ou Star Academy.
Evan Collins est l'un des premiers curateurs d'images classées "Y2K". Fondateur du blog « L’institut de l’esthétique Y2K », il souhaitait circonscrire les marqueurs de cette esthétique et les valeurs qu'elle pouvait incarner :
« De Matrix et ses pluies numériques, aux vidéos clips mélangeant graphiques en 2D et 3D dans lesquels se nichaient de joyeux cyborgs (ex : Out of Your Mind Victoria Beckham), l'optimisme et le techno-utopisme constituent une composante essentielle de l'ère Y2K. Avec tout le battage médiatique des dotcom et de la nouvelle économie, les gens pensaient que la prospérité pourrait ne jamais s'arrêter."
A l’heure de la conscientisation et du woke, la Nowstalgia semble porter un regard mélancolique sur ce “Monde d’Avant”, empreint d’insouciance frivole et de naïveté où l’on pensait les richesses de la terre illimitées, le progrès sans fin et le nouveau millénaire plein de promesses, loin du regard implacable des réseaux sociaux, de la crise climatique et du retour des guerres. Peut-on lire dans cette nostalgie des années 2000 un plaidoyer pour l’optimisme et la confiance du Monde d’Avant ? Le tour de force de la Nowstalgia, c’est de se réapproprier ces codes de frivolité et d’optimisme et les replaçant dans la réalité actuelle. Une réalité qui ne perd pas de vue les urgences à affronter. Nul doute que la recherche d’un « feel good mood » explique en grande partie sa propagation exponentielle depuis son apparition en 2016.
La positivité, une clé de choix pour engager la jeune génération ? C'est la recette sur laquelle Pepsi a décidé de miser avec sa campagne "The Mess We Miss" qui nous rappelle les petits plaisirs anodins du quotidien d’avant Covid. Pour Todd Kaplan, VP marketing de Pepsi, en associant nostalgie et optimisme la marque entend aider le grand public à voir l'avenir avec le sourire. Même stratégie pour Smiley qui fête « 50 ans de good news » aux Galeries Lafayette avec arcades retro-gaming, éditions limitées et collabs « It’s time to smile ».
2ème raison – Second degré assumé
Esthétiques déstructurées & dépareillées, asymétries, strass, superpositions à l’excès et débauche de matières. Entre sens de l’autodérision et provocation identitaire, la Gen Z embrasse dans cette époque la promesse d’une adolescence où toutes les expérimentations stylistiques étaient permises. Un lâcher-prise généralisé, bien loin de l’exigence de mise en scène d’un quotidien parfait exigé par les réseaux sociaux. Tout paraissait alors possible et c'était surtout une manière de s'amuser sans se soucier des codes imposés par des réseaux sociaux encore peu dominants. L’opportunité d’une créativité débridée. Et tant pis pour le classieux : gloss, bobs, chemise hawaïenne, string apparent, pantalons zippés fendus ou total look jean en jupe par-dessus le pantalon. Entre célébration de la body positivité et expression de soi, l’esthétique Y2K est un pied de nez monumental à Instagram et Pinterest.
« Derrière les années 2000, il y a une volonté de ne pas se prendre au sérieux, et un rejet total d'un possible ridicule. Ce qui explique aussi l'avènement des pires tendances de mode liées à cette époque, bien clinquantes et pas très harmonieuses, et l'arrivée en masse des télé-réalités vulgaires mais terriblement drôles » décrypte Nawal Bonnefoy, journaliste mode et célébrités chez BFMTV.
« Les photos volées de Paris Hilton, Lindsay Lohan et Britney Spears qui sortent totalement ivres de boîte de nuit, ça ne pourrait plus arriver aujourd'hui.»
C’est sur ce principe que surfent les marques Nowstalgia : refléter avec humour et dérision la personnalité de son porteur. Ludique, ironique, extravagante, mixant styles, symboles et époques, la Nowstalgia porte un regard désabusé sur les diktats actuels et les contourne de façon jouissive à l’instar de la marque de nail stickers Ivine, des cosmétiques non genrés psychédéliques Pleasings par Harry Styles ou des bijoux fantaisie Ian Charms.
« Depuis le début, nous avons fait très attention à ne créer que des pièces pour les personnes qui, selon nous, ont vraiment le sens de l’humour et correspondent à la marque (…) Nous sommes une marque qui se trolle elle-même, nous voulons donc nous assurer que toute personne à laquelle on dédit un produit a vraiment le sens de l’humour et (..) ne se prend pas trop au sérieux. » Sahakian fondatrice de la marque Ian Charms.
3eme Raison – Années 2000 but make it progressist
Cette obsession n'est pas uniquement esthétique : elle est aussi profondément sociale. Le Y2K, ce sont les années girl power où sexy et pouvoir n’étaient pas antinomiques : LSpice Girls, L5 ou Destiny’s Child. Mais aussi Carrie Bradshaw, Reese Witherspoon, Marissa Cooper et Summer Roberts (Newport Beach) : des femmes qui ont pâti de leur look ingénu, souvent cantonnées à des rôles de potiches sexy mais qui incarnent à elle seule tout l’esprit de l'époque. Dans son clip «Thank U, next», Ariana Grande rend hommage aux films cultes de cette période, désormais élevés au rang de films féministes : « Lolita malgré moi » ou « La Revanche d'une blonde ».
Le retour en force de ces figures, Britney et Paris Hilton en poupe, interroge le regard porté à l’époque sur ces icônes. De poupées écervelées, elles prennent alors une toute nouvelle épaisseur. Enfin perçues comme des roles models au parcours cabossé, maitrisant le marketing à la perfection, luttant pour faire entendre leur voix et s’émanciper du patriarcat. Qu’il s’agisse de la récente bataille de Britney pour sa tutelle, ou du grand retour de Paris Hilton sur les réseaux sociaux, détaillant dans son film son parcours, des abus qu’elle a subi dans une école de Provo, dans l'Utah, jusqu’à son travail de businesswoman féministe et engagée à la construction de son empire.
« Le retour des années 2000 est une forme de dernier sursaut édulcoré de la mode pour répondre à #MeToo. Ces années, malgré leur empowerment pop, n'étaient pas très politisées. C'était surtout le fun, la provocation mignonne et pas vraiment les slogans militants. En s'accaparant les années 2000, certaines marques peuvent donc surfer aujourd'hui sur les questions de féminisme sans trop se mouiller.» Mélody Thomas, journaliste mode chez Marie Claire
Si l'état d'esprit "Nowstalgia" est alimenté par un désir de réinventer les codes contemporains et les diktats esthétiques, il ne touche pas que la sphère féminine : Adam Sandler, l'icône de la mode la plus recherchée sur Google en 2021 et son style #itssobaditsgood met d’accord tous les fans des tendances #Y2K. Sa popularité galopante fait écho à l’enquête Yougov, révélant que 91% des hommes aimeraient voir l'homme « de tous les jours » mieux représenté par les marques de mode.
4eme Raison – fashion statement
Comme toute trend Z qui se respecte, la Nowstalgie a su capitaliser sur le pouvoir de viralisation et d’agrégation des réseaux sociaux, ainsi que ses influenceurs : Dua Lipa, Bella Hadid, Olivia Rodrigo, Pete Davidson, Joe Jonas, Jaden Smith… Tous ont été aperçus sur réseaux sociaux arborant LE collier en perles fantaisies par excellence de la marque Ian Charms. Son esthétique « fait maison » rappelle les bijoux d’amitié du début des années 2000 : perles hétéroclites, charms pizza, dés, dents, cœurs, étoiles… L’éventail complet du clavier emoji. C’est un bracelet d’amitié fun et décalé pour la génération TikTok.
Ce qui interpelle c’est l’apparente simplicité du produit : exit l’or et les pierres précieuses. Comme la volonté d’un retour à un ordre des choses basé sur la créativité individuelle, et non sur les signes extérieurs de prospérité. Un statement « next door ». Mais derrière l’apparente humilité du produit, on peut lire en filigrane la posture de connaisseur qui sait chiner les pièces phare (le collier sur-mesure coûte tout de même pas loin de 400$). Une opportunité de réconcilier la passion des Z pour la fashion-sphère avec leurs considérations écologiques et durables.
Cette renaissance vintage génère un boom sans précédent de la seconde main notamment des plateformes en ligne comme Depop et Poshmark. Et cette frénésie pour l'occasion commence aussi à avoir des répercussions dans le brick&mortar notamment dans le Lower East Side de Manhattan où deux friperies vintage - Bowery Showroom et Rogue - ont valu au quartier d’être rebaptisé le "TikTok Block" devant l’afflux massif de Zers.
5eme Raison – Un levier identitaire exploité par les marques
Lancé en 2018, le site Aesthetics Wiki répertorie en open-source les différents styles qui s'épanouissent sur les réseaux sociaux (Cottage Core, Dark Academia, Y2K…) classés sous six suffixes généraux : "core", "goth", "kei", "punk", "wave" et "academia". Avec la pandémie, la plateforme a vu sa fréquentation augmenter de près de 5 000 % et attire des centaines de nouveaux contributeurs chaque mois. Dans une étude publiée en septembre dernier, Nicolas Szmidt, responsable de l’analyse des tendances sur YouTube, et Marie Berst, responsable Cultures et Tendances en France, expliquaient :
"Le succès de ces esthétiques repose en grande partie sur la diversité de ses thèmes et des formats. Les tutoriels créatifs, par exemple, permettent de s’approprier une esthétique dans sa façon de s’habiller, de décorer son intérieur, etc. (...) Si les responsables marketing souhaitent véritablement établir un lien avec la Gen Z, ils doivent comprendre ce qui la définit. Et l'esthétique est au cœur de l'identité de cette génération."
Quelle opportunité pour les marques ?
Puisqu'elles s'exposent en priorité sur les réseaux sociaux, ces sous-cultures n'ont pas tardé à intéresser les marques de "fastfashion"et de bijoux qui sont mises à créer des sections dédiées proposant des produits "Y2K", mais fabriqués en 2021 (et non vintage). Et cela cartonne ! Mêler nostalgie, humour et pop culture, voilà la clé. Parmi les plus gros succès dont s’inspirer : Simmons, IAMGIA, Kim Shoui, Miaou and Poster Girls.
Les plus malines ont compris qu’elles pouvaient exploiter ce pouvoir de nostalgie pour faire culture de façon plus intime avec leurs publics, en s'associant à l'industrie du jouet. A l’instar de la marque Gaia dont la collection capsule avec la marque de poupées Bratz regorge de plates-formes shoes, de mini sacs, de bucket hats, de bérets, de colliers ras du cou, de créoles et d'imprimés peau de serpent. Autre gros succès notable, la collaboration entre la marque de make-up ColourPop et la licence « Les Supers Nanas » (PowerPuff Girls). Une stratégie qui pourrait s’étendre demain à l’accessoire, la maison mais aussi l’alimentaire (souvenons-nous du Figolu !).
Autre opportunité pour les marques : rappeler le chemin parcouru depuis les années 2000 et célébrer son héritage sans cérémonie. Avec son nutri-game, Chocapic (Nestlé) propose un jeu rétro où la mascotte (Pico) doit atteindre son objectif de nutriscore B. L’occasion pour la marque de rappeler sa démarche d’amélioration nutritionnelle.
Idem pour la Vodka Cruiser. Michael O’Donoghue, brand Manager raconte : “We set out to create a platform that would effortlessly celebrate our past. But it could also pave the way for its future. Fortunately for us, the resurgence of the Y2K fashion trend couldn’t be a more perfect fit. We are super excited about how it brings to life the attitude and personality of Vodka Cruiser.” Comme le résume Nike x Jordan Nowstalgie : embrace the Future. Honor the past.
Entre levier identitaire et fashion statement, quelque chose nous dit que la tendance "Nowstalgia" est bien partie pour s'installer durablement dans la vie des Z. Prêts pour l’invasion ?